Carnets

Le vieux de la Castanyera

Crédit : Eva Byele

Aujourd’hui, à l’école, on fête la castanyera. Les enfants doivent venir déguisé et c’est adorable ! Les petites filles avec un fichu sur la tête, une jupe et un tablier, les petits garçons avec un béret ou un chapeau rouge en velours.

C’est l’excitation dans les rues qui mènent à l’école, tout le quartier d’ailleurs est en fête ! Ici, les fêtes populaires ont le vent en poupe, elles sont tellement importantes pour les habitants de Barcelone qui viennent souvent d’un village ou d’une ville alentour. Ces fêtes sont créatrices de lien et ils en raffolent.

Les enfants doivent apporter des « castenyes », (châtaignes). Mais, attention ! Il faut d’abord les avoir fait griller, avec un peu d’eau dans une poêle et les avoir ouvertes, à peine. Si on les ouvre trop, elles peuvent se séparer en deux, si on les ouvre pas assez, elles peuvent « exploser ». Après, il faut les décortiquer, c’est assez long, il faut prendre soin que la chair ne parte pas avec la coquille, sinon, au lieu d’avoir une jolie chair beige, il ne reste qu’un morceau atrophié. Ensuite, les enfants feront avec des panellets, des petits gâteaux ronds et sucrés…

Dans les boulangeries, les panellets sont déclinés de différentes sortes : avec des pignons, de la noix de coco ou même du chocolat. Ici, on se sert de toutes les occasions pour fêter les saisons, les champignons, les amandes et les marrons…

Ce matin, il fait doux et beau. Un petit vent frais se fait quand même sentir, mais au soleil, on brûle. Sur la place, un petit monsieur que je vois souvent est là. Il a dû rester quinze minutes à ne rien faire, ainsi, à observer, à faire un pas en avant, puis sur le côté. La tête légèrement inclinée, le buste un peu en avant, il porte des chaussons et des habits sombres, toujours les mêmes, me semble-t-il.

Non loin de lui arrive le monsieur droit comme un I et souriant qui arbore toujours ses paquets de mouchoirs pour qu’on les lui achète. Je lui en prends chaque semaine depuis des années. Je le retrouve toujours sur les places du quartier ; il est gentil. Son regard est pétillant, il est toujours prêt à rire on dirait.

Tiens, le petit monsieur de tout à l’heure est revenu avec sa casquette sur la tête. Il est accompagné d’une femme et d’un chien, peut-être qu’il les attendait tout simplement. Silencieux, l’un à côté de l’autre, ils ne se parlent pas. Ils se cachent du soleil de leur main mais ne bougent pas, cela ne les dérange pas, en fait. Le chien, un cocker noir avec un peu de blanc sous la barbe, est silencieux ; lui aussi et calme. Il n’aboie pas malgré les voitures ou les motos qui peuvent passer ; il semble avoir perdu tout instinct.

Peut-être est-ce ainsi en vieillissant, l’instinct diminue, on n’est plus alerte, on n’a plus de « libido », cette force de vie si puissante qui englobe bien plus de choses que la seule sexualité. La sève se fait moins forte, moins importante, elle se retire tout doucement pour se faire au nouveau rythme du corps et permettre de supporter que tout – le rythme de la vie – soit ralenti et de ne pas se lasser des cloches qui sonnent et qui passent comme tout le reste. Plus que jamais, il faut savoir observer, attendre, se reposer, marcher à petits pas.

Jeune, cela paraît effroyable mais si l’on a vécu suffisamment, c’est juste un autre temps de la vie, un autre âge. Le petit monsieur s’est relevé, il s’est approché de moi et je ne sais pourquoi, s’est arrêté, m’a regardé, les mains derrière le dos, espiègle. Il a eu un petit rire intérieur mais que j’entendais, sa femme avançait plus vivement, tirée par son chien, mais lui me regardait en riant doucement. Je lui ai souri. Pendant quelques mètres encore il m’a regardé, s’est arrêté et m’a souri puis il est parti pendant que les dix coups sonnaient.

Cet homme-là n’a finalement pas perdu son espièglerie et c’est ça que j’aime chez les vieux. Il y a quelque chose de l’enfance qui revient au galop : l’instant, le rire facile, et cette capacité de faire que ce qu’ils ont envie… Beaucoup plus que dans notre vie d’adulte où une certaine part de nous est « obligée » de se conformer, les vieux, eux, comme les enfants n’en ont rien à faire. Peut-être, d’ailleurs, allait-il de ce pas, chercher des panellets ?