Aujourd’hui, il fait chaud, on dirait que c’est l’été. La porte du café est ouverte, faisant entrer un air délicieux. Dehors, les feuilles vertes et jaunes se meuvent dans une danse sensuelle sur un fond de ciel azur, sans nuage.
En face de moi, une femme me dévisage. Elle appuie son menton sur la paume de sa main et son coude est posé sur la table. Elle a des cheveux très longs, noirs, pas coiffés et une grande mèche qui encadre un côté de son visage. Elle a un regard d’une tristesse…
Elle a des cernes gonflés sous les yeux, des joues bouffies, un teint rougeâtre, un nez long et rond, une bouche avec des lèvres pleines, un grand front avec des marques rouges ici et là. Mais c’est surtout la tristesse qui émane d’elle – comme si elle l’enveloppait tout entière – qui me happe. Je suis à mon tour fascinée. Elle me fait penser à un tableau de Boticelli au centre duquel une madone triste – et non belle – irradierait.
Elle porte un tee-shirt blanc délavé presque sans forme qui découvre des bras forts. Ses cheveux sont comme du jais, pourtant cette femme semble être enveloppée par une sorte de vieillesse prématurée. Sûrement est-ce la tristesse de son âme qui se reflète ainsi sur son corps et sur son visage. Elle paraît, en fait, sans âge comme si elle mêlait étonnamment la jeunesse et la vieillesse.
Elle m’observe pendant que je m’installe, sors mon ordinateur, prends mon portable, bois de l’eau glacée pour me rafraîchir après plusieurs kilomètres en vélo sous le soleil. Je sens sa curiosité, son envie presque…
Le serveur arrive, elle lève, tout à coup, la tête, change totalement de physionomie, la tristesse de l’instant précédent semble s’être enfuie. Elle sourit presque devant son plat. Peut-être était-elle affamée? Elle mange rapidement son déjeuner, sans lever le nez, le regard plongé dans son assiette, puis, elle saisit El Periódico.
Elle sort de je ne sais où des lunettes – qui la font ressembler à une vieille dame – avec un cordon qu’elle laisse pendre devant elle. Puis, elle plonge la tête vers le journal. Elle a de petits soubresauts en lisant. Tremble-t-elle ? A-t-elle froid? Elle termine sa bière, bouge ses épaules de manière intempestive. Elle semble concentrée et sa physionomie en est de nouveau totalement changée. Elle ne semble plus être la même personne que lorsque je suis arrivée.
Se sent-elle observée alors que j’écris sur elle ? Je ne le pense pas. Je vois ses pieds qui paraissent petits sous la table, elle sort son portable, se met à composer un texto puis le referme aussitôt et reprend la lecture assidue de son journal.
Ces temps-ci sont des temps d’incertitude, de doute, d’inquiétude généralisés. Peut-être ai-je vu chez cette femme simplement l’expression de la tristesse actuelle qui existe dans la société catalane et espagnole.
Ce qui est unanime, je crois, malgré tout, c’est l’espoir que cette crise ne se transforme pas en révolution et que les violences ne prennent pas le peuple entier. Espérons que les dieux soient cléments avec les petits humains que nous sommes qui continuent à répéter les mêmes erreurs au fil des siècles, qui ne semblent jamais apprendre du passé et se souvenir qu’ils sont tous frères et sœurs.