Ce matin, la mairie, bleu ciel en face de moi, contraste avec le ciel gris et nuageux. Le soleil diffus se fait sentir, derrière. Après une journée de pluie, hier, le soir, une colonne de pluie, de fumée rouge s’élevaient de la mer jusque dans le ciel; c’était fantastique. N’y croyant d’abord pas mes yeux, j’attendais et observais. Rapidement, sur la gauche, d’autres nuages se formaient de ce rouge sang teinté de rose mais qui semblaient prêts à s’évaporer à tout instant.
Un vieux monsieur vient de passer et sa détresse et sa solitude me brisent le cœur, le visage légèrement penché en avant, son visage buriné, ses yeux fatigués et tristes, il respire la pauvreté. Un baluchon jeté sur l’épaule, il avance doucement en marchant sur son pantalon marron élimé avec ses savates qui font un bruit de plastique que l’on traîne.
Il lève à peine la tête ou le regard, comme si cela lui donnait trop de difficulté ou d’effort. Son nez, gros, parsemé de petits trous, est gonflé comme le haut d’un champignon. Ses yeux semblent trop grands et trop écarquillés. Il passe, c’est tout, sur cette place qu’il traverse sans regarder ni rien ni personne.
Il passe en emportant sa tristesse mais en la distillant un peu malgré tout autour de lui. Comme la joie est communicative, la tristesse et la misère le sont aussi. Comment peut-on ne pas être touché par cet homme et se demander quelle est son histoire? Est-il vraiment si seul, vit-il dans la rue, a-t-il un toit ?
Mais il passe comme les autres passent et vaquent à leurs occupations. La rue est un lieu étrange qui peut être un tel lieu de fête et de communion, surtout ici, en Catalogne et à côté de ça un théâtre d’événements si sordides.
Souvent, le matin, je passe dans une rue où sous un porche, dort un homme. Emmitouflé dans sa vieille couverture, je ne vois rien dépasser. Mais je sais, car je l’ai vu une fois que c’est un homme. Peut-être a-t-il 40 ans, peut-être plus, peut-être moins. Cela est dur à dire. Le reste de la journée, quand on repasse à cet endroit, il n’y a plus rien qu’un sac posé sur le côté abritant son lit de fortune et une odeur écœurante. Les voisins ne disent rien, semble-t-il, puisque cela fait longtemps qu’il est là, un an, peut-être plus.
C’est comme le petit vieux qui était sur la placeta de Sant Miquel que je voyais tous les jours pendant des mois et qui un jour a disparu. Il était beau cet homme avec sa peau brune, ses cheveux blancs et longs et ses yeux bleus perçants. Il traînait derrière lui d’immenses sacs carrés. Il lisait le journal. Parfois, je lui ai parlé, lui demandant s’il voulait quelque chose mais il me répondait toujours que non. Je le voyais parfois avec un morceau de pain, un croissant ou autre.
J’ai appris en visitant l’école en face par la directrice, que cet homme était le chouchou des enfants et qu’il dormait devant leur porche. Cela m’a réjoui de savoir que cette école le « prenait en charge », du moins l’acceptait.
Je l’ai décrit plusieurs fois dans mes écrits. Si seulement j’avais su dessiner, je l’aurais croqué avant tant de plaisir et de bonheur. Il fait partie de ces gens qui sont des personnages, qui ont une histoire, laquelle ? C’est étrange à dire mais il n’a pas l’air malheureux. Il parle avec des gens, il observe la place lui aussi, les pigeons, les enfants. Peut-être est-il également un écrivain ?
Un écrivain raté ou qui n’a jamais réussi à percer et qui a enfoui sa vie dans son art. Cela arrive plus qu’on ne le croit. J’avais beaucoup d’affection pour lui, j’étais heureuse de le voir tout en gardant une petite culpabilité au fond de moi que lui, vive là, dans la rue. Mais il paraît qu’ils préfèrent vivre dans la rue, à leur manière que dans les foyers qui sont sales, où on les vole… et où il y a beaucoup de violence.
Finalement, il était un habitant de cette place et tous les jours, en y venant, je ne peux m’empêcher de penser à lui et de le regretter. J’espère qu’il ne souffre pas trop, physiquement, ou moralement.