Une femme seule devant moi, assise à sa table avec son grand verre de vin rouge, m’attire l’attention. Je m’apprêtais à partir mais je ne peux, quelque chose d’elle se dégage, c’est extraordinaire. Elle est un tableau à elle toute seule.
Ses cheveux coupés court, sous l’oreille, grisonnants sur les côtés, son teint blafard malgré des joues rouges, ses sourcils noirs, son manteau noir et son pantalon à petits carreaux noir et blanc avec un grand col ouvert duquel un cou blanc, long et fin s’échappe, lui confèrent un air lugubre. Son visage, par moments, se baisse, elle picore quelque chose dans son sac posé sur ses genoux.
Sinon, son regard est fixe, vers la fenêtre, elle a l’air triste, elle a l’air dur, elle a l’air seule dans la vie. Un instant, elle a tourné la tête vers moi. Elle donnait l’impression qu’on l’avait peinturlurée.
Une grande enveloppe beige est disposée devant elle, elle pose à présent ses coudes dessus sans regarder ce qu’elle contient. Elle place son poing sous son menton, elle regarde avec dureté vers l’extérieur.
Elle porte comme une grosse chevalière dorée à l’auriculaire, elle fait penser à une cocotte fardée d’un autre temps, d’il y a un siècle exactement. Elle remet en place ses sourcils, régulièrement, touche leur tracé comme pour s’assurer qu’ils sont toujours là, semble-t-il, plus que pour être sûre qu’ils soient bien mis.
C’est aussi pour faire quelque chose, elle a l’air tant désemparée. Il est 13 heures dans ce café typique catalan, c’est calme à cette heure-là, ce n’est pas encore l’effervescence du déjeuner et plus celle du petit déjeuner vers 10-11 heures…
Un monsieur s’est installé à la table devant elle et lit un journal paisiblement pendant qu’elle continue, les deux coudes posés sur la table dans une pose qui n’en finit pas à regarder avec dureté par la fenêtre.
C’est une femme brisée, une tristesse et une colère émanent d’elle ; elle paraît malgré tout attendre quelque chose ou quelqu’un comme un amour éperdu qui ne viendrait plus.
Elle se saisit de son paquet de cigarettes et n’en peut plus, elle sort pour fumer. Nous ne pouvons plus dorénavant fumer dans les cafés et l’étrangeté de cette scène s’arrête là.
Je ne verrai pas les volutes de fumée accompagner cette femme, la rendre moins seule, temporairement et continuer de voiler sa peau d’une teinte grisâtre semblable à la mort même si elle la rehausse maladroitement de fard rouge telle une poupée folle.
Elle est revenue, continue de farfouiller dans son sac et termine son verre sans rien manger. Elle se saisit d’un mouchoir blanc et essuie ses yeux, des larmes s’en échappent ou son mascara coule-t-il ? Peut-être les deux, elle passe un doigt sous son nez dans un geste de douleur et ferme les yeux.
Ah ! tous ces êtres de souffrance que sont les hommes et les femmes ! Il faut voir en eux leur humanité blessée, ce qui nous rejoint, nous émeut.
Je pourrais être elle. J’aimerais lui mettre une plume ou un livre entre les mains pour essuyer sa tristesse. La conforter et la réconforter serait le plus beau des cadeaux, lui redonner peut-être un peu confiance en l’humain avec un geste désintéressé.
À présent, elle regarde avidement son téléphone portable, cherchant de ses doigts en faisant défiler l’écran si elle n’a pas reçu un message ; non aucun. Elle repose le téléphone dans son sac et le visage plus dur que jamais, reprend sa contemplation du dehors. Enfin, elle ouvre l’enveloppe et se met à lire une lettre.