Quelle amertume ronge mon cœur ! Quelle amertume d’être une femme dans un monde d’hommes, un monde de loups, sauvages, avares, violents et noirs !
Ces hommes ont le cœur sec, ils ravagent tout sur leur passage. Ils distillent la peur et la honte, le chagrin et le désespoir. Ô homme, homme, ne vois-tu pas que tu cours à ta perte ? Ne vois-tu pas ces petites têtes sombrer dans la noirceur que tu leur imposes ?
Toi seul es responsable de tes actes, ta barbarie t’appartient, elle est intrinsèque. Pourquoi tant de malheur ? Pourquoi tant de déshonneur ? Nous avions un jardin d’Éden, tu étais mon roi, et moi, ta reine. Mais on a décidé que moi, femme, était coupable de tout, de toutes les vilenies quand c’était ton cœur qui avait été touché par le poison du pouvoir et de la possession.
Ô homme, homme, ne vois-tu pas couler mes larmes ? Je t’adjure, rends les armes ! Nous sommes tous frères et sœurs, certains sont davantage parsemés de couleurs comme la nature le révèle chez les animaux. Ces couleurs égayent et nous rendent uniques et beaux. Pourquoi veux-tu que nous soyons tous semblables ? Pourquoi, homme, veux-tu que nous ne soyons plus qu’un ?
Ô homme, homme, ton nom rime avec tourment ! Pourquoi ne vois-tu pas dans le miroir du temps toutes les absurdités dont tu as rempli le monde ? Pourquoi ne pleures-tu pas sur ton sort de bête féroce incapable de tendre la main au plus faible, au plus petit, au moins malin ? Pourquoi tant de haine habite ton cœur ?
Tu avais tout ; le jardin était plein, le potager et le verger remplissaient les environs, les animaux, plus beaux les uns que les autres, auraient pu t’émerveiller, et la femme à tes côtés, si belle, si intelligente, si pleine de pensées et de sensibilité était la meilleure des compagnes. Pourquoi as-tu voulu l’avilir ? C’est toi-même que tu as mis en esclavage ! C’est à toi que tu as ajouté des chaînes.
Ô homme, homme, mon cœur pleure, mon âme doucement se retire, le paysage s’estompe, la pierre tombale n’est plus très loin, je peux sentir le froid sur mes mains. Mon visage blême est celui d’un fantôme. Bientôt, j’erre dans ce monde, ne peux que contempler avec désespoir que la conscience s’est retirée, qu’elle s’est enfuie pour tomber dans le cœur d’un poète, d’un enfant, d’un paysan, d’une femme que l’on écrase.
Mais, soudain, mes larmes cessent, soudain, mes yeux s’ouvrent, je vois au loin quelqu’un prendre une plume, je vois ses cheveux longs ; elle trempe sa plume dans ses larmes et dans l’encre de la vie, dans son désir et sa pensée, dans son besoin d’humanité, de célébrer la sororité et la fraternité. Elle s’appelle Sappho, elle est notre mère à tous et alors, j’arrête de pleurer.
Mon regard se fige, sa beauté, sa force et sa pensée me sont transmises. Elle ne va jamais renoncer, la poétesse passera sa vie à se lever contre ceux qui tuent, pillent, violent, enferment, écrasent et anéantissent. Pourquoi ? Parce qu’elle a choisi la création contre la destruction, c’est elle notre mère nature, c’est elle notre modèle.
Femmes, levez-vous ! Écoutez enfin le monde battre dans vos entrailles ! Écoutez vos enfants, vos amies, vos mères et vos maris ! Pour ceux que vous aimez, levez-vous et agissez ! Je vous en supplie, enfin, écrivez !