Tous les matins, il est là avec sa canne. Il avance cahin-caha et pousse la porte d’entrée avec difficulté. Il se pose, reprend son souffle. Il lève lentement sa tête qui est enfoncée dans son cou comme une tortue.
Son visage est ridé comme une vieille pomme, il a des yeux en amande bleus presque délavés. Il est très maigre, porte un pantalon de couleur jaune moutarde ou bordeaux et des chaussures de montagne. Il a des cheveux blancs encore épais, en bataille avec des épis juste au-dessus du cou comme s’il n’avait pas passé sa main dans les cheveux et qu’ils avaient gardé le pli créé par l’oreiller.
Il se tient sur sa canne et avance à petits pas, il s’arrête, observe, cherche une place. Où va-t-il s’installer ? Il me regarde intensément, je le regarde aussi. Je ne détourne pas la tête. On dirait un jeu de : Qui rira le premier aura une…
Eh bien, ce sera moi ! Je ris. Je vois un éclair passer dans son regard. Espiègle, ce vieux monsieur, malgré son apparence, s’amuse encore. Il me surprend comme il se surprend lui-même, je pense. Il esquisse à peine un sourire puis détourne le regard et se remet en quête d’une place. Il commande un croissant et un café au lait dans lequel il rajoute beaucoup de sucre.
Quelques instants plus tard, il y a plus de miettes sous la tête que dans l’assiette, il lit un journal, s’attarde sur le football. Sa tête est à nouveau rentrée dans son cou. Puis, il est midi, il décide soudainement de partir.
Alors, il se lève difficilement, repasse devant moi en m’observant. Attend-il de nouveau un sourire de ma part ? Je le regarde et je le lui donne. Ce petit jeu désormais installé, nous nous disons bonjour et au revoir de la sorte, tous les matins.
Avec qui ce vieux monsieur a-t-il encore l’occasion de jouer ? On dit que le « jeu est l’apanage de la jeunesse », mais n’oublions pas que le « rire est le propre de l’homme », et peu importe l’âge. Par ce rire, cet homme montre qu’il est encore vivant, présent, qu’il est capable de dérision et d’autodérision. Cela fait tant de bien dans ce monde trop souvent cynique !