Paris. Nous sommes le 21 août 1944, jour de la parution du journal Combat. Instantanément, nous sommes plongés au cœur de la rédaction du journal qui est issu de la Résistance. Alors que la politique française évolue et passe de la Libération de Paris, à celle de la France, à la fin de la guerre puis à l’espoir que représente de Gaulle pour unifier la France, on découvre toutes les phases de la vie de ce journal.
On entend les espoirs déçus et on voit les illusions s’effondrer devant la réalité, devant l’épuration massive qui s’étend même à « un journaliste qui a écrit une critique littéraire ». On sent l’écœurement de Camus devant ces excès, quand pour Marianne, jeune résistante et journaliste passionnée, il est nécessaire d’en passer par là pour atteindre l’idéal « d’une nouvelle France ».
Les membres de l’équipe doutent, se heurtent, confrontent leurs idées, vibrent passionnément au cours des événements exceptionnels qu’ils sont en train de vivre. Nous découvrons un Camus fraternel ; on perçoit sa relation aux typographes – dont il admirait le métier et avec lesquels il collaborait –, son engagement pour l’Algérie, le respect qu’il a pour les hommes en général et l’admiration que ses éditoriaux – son idéal et son humanité – éveillent chez Marianne.
Des moments de célébration, de fête, de danse et de musique ponctuent les moments de débats, d’intenses réflexions, de doutes et d’engagement. Tantôt l’un apporte une bouteille de vin, tantôt l’autre allume le poste de radio non plus pour diffuser Radio Londres mais pour permettre au jazz de les divertir pendant qu’un autre invite à danser la jeune femme.
Les acteurs sont justes, vrais, sans faux-semblants ou exagération. Le journaliste Pascal Pia, qui a eu un rôle essentiel à Combat, est charismatique avec sa voix de basse, sa barbe et sa forte charpente ; il a une sorte de flegme britannique malgré des emportements. Il est le chef de la bande même si Camus en est le héros. Tous l’attendent et certains se désespèrent de ses absences et de son éventuel départ définitif, qui pourrait signer la fin du journal. Car ce sont les éditoriaux de Camus que le public et Marianne attendent.
Cette pièce nous ouvre les portes sur une période clé de notre Histoire où les débats intellectuels, philosophiques, idéologiques, sont en fait d’une brûlante actualité. Un certain nombre de questions sont posées sans que des réponses sûres ne puissent être données : « Peut-on gouverner sans idéal ? » « Que faire pour que les petites magouilles ne reprennent pas comme avant la guerre, pour que l’on ne voie pas ressurgir les mêmes politiciens »? « De Gaulle pourra-t-il incarner tous les espoirs de cette nouvelle France ? »
Combat 1944-1945 est un petit bijou, on se laisse emporter par le jeu, le rythme et les mots des acteurs. Celui qui campe Camus est à la hauteur, il ne le singe pas, il déclame ses pensées avec force et conviction et on le croit.
Si cette pièce est si juste, c’est sans aucun doute parce que l’auteur de la pièce, Denis Randet, a eu la chance de rencontrer Roger Grenier, qui lui a confié des informations précieuses sur la manière dont se passait la rédaction du journal.
On se croirait même, un instant, au milieu des personnages ; on aimerait débattre avec eux sur tel ou tel sujet, danser avec Camus, lui parler et lui dire qu’il ne s’était pas trompé : sa quête de vérité était essentielle. Elle est toujours une boussole et une lampe éclairée dans cette période trouble que nous vivons.
Un bel hommage à celui qui écrivit L’Homme révolté et dont les prémices naquirent au sein de ce journal qui incarnait l’idéal camusien de la liberté et de l’indépendance !
Combat 1944-1945. Albert Camus et la Pratique de l’idéal
Une pièce de Denis Randet, mise en scène par Clémence Carayol
Théâtre des Barriques (Avignon)