Réflexions

Joseph Steib – la résistance par la peinture

Peinture extraite du « Salon des rêves » de Joseph Steib

Alors que je cherche le magnifique livre sur Gaspard Freidrich que j’ai feuilleté, la semaine dernière, mon œil est attiré par ce titre : « Le Salon des rêves » comment le peintre Joseph Steib fit la guerre à Adolf Hitler* avec en couverture un portrait hideux du Führer dont le bas du visage est un porc à l’envers…

Ce titre contient tout ce qui m’intéresse : la guerre – la Seconde Guerre mondiale –, la peinture et surtout l’art comme résistance à un régime politique. Mon sang ne fait qu’un tour, je m’empare de mon butin, et vais m’asseoir à ma table pour avoir le temps de le lire car le feuilleter ne suffit pas… il me faut comprendre, retenir, écrire.

J’apprends dans l’excellente préface de Fabrice Hergott que cet homme, Josef Steib, est à la base un modeste alsacien, profondément marqué par l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne en 1871, puis par son retour à la France en 1918 et son annexion, de nouveau, très dure, pendant la Seconde Guerre mondiale et sa tentative de nazification par les Allemands. Comme tous ses compatriotes, « il a développé l’humour, l’ironie et l’esprit caustique » contre cette occupation dès 1871, qui se perpétue par intermittence jusqu’en 1945.

Mais ce qui est extraordinaire, c’est que cet homme – qui est décrit comme « bon et gai » – a suffisamment conscience du drame qui est en train d’advenir pour se mettre, dès 1930, à peindre des œuvres afin de non seulement tourner en dérision le IIIe Reich mais attenter par celles-là mêmes à la vie d’Hitler. Chaque peinture se transforme en une mise à mort fantasmée, en une descente aux enfers rêvée de ce tyran, qui « par sa mort, libèrera le monde de ses maux. »

Ainsi, ce peintre peut être associé à la Widerstandsmalerei, la « peinture de résistance » allemande. Mais personne autant que lui n’a consacré autant de peintures à la destruction d’Hitler. Il aura à cœur également de montrer des drapeaux français et des us et coutumes alsaciens en résistance à cette nazification subie.

Pendant 15 ans donc, cet homme fera encourir des « risques immenses à sa femme, à ses proches et à lui-même » en peignant ces « ex-voto destinés à faire échouer le régime politique », dans la solitude de sa cuisine. En tout, 57 peintures verront le jour et seront exposées, une seule fois, du vivant du peintre en septembre 1945, en Alsace sous le titre de « Salon des rêves ».

Mais la population, sûrement trop proche des exactions commises pendant la guerre, n’est pas en mesure de réaliser l’ampleur de cette œuvre de résistance. De plus, les peintures dérangent ses proches – notamment sa femme – qui ont une autre image de cet homme doux. C’est en fait parce qu’il était « attaché à la culture et l’histoire française, à ses valeurs républicaines et qu’il avait une foi chrétienne profonde que ses tableaux représentent un acte de foi et conscience, comme ce le fut chez beaucoup de grands résistants ».

Ainsi, à sa mort, ses tableaux sont disséminés… C’est grâce à l’œil affuté de Francois Pétry, « un chercheur strasbourgeois, collectionneur et amateur passionné d’art et d’histoire alsacienne » que son œuvre est redécouverte. En 1987 – donc 20 ans après sa mort –, il découvre un premier tableau qui le laisse « perplexe » et décide de faire des recherches sur ce peintre inconnu. Il trouve alors de nouvelles peintures et le fait connaître.

À partir de 1996, des articles et des témoignages louant le courage de Steib se multiplient et quelques expositions ont lieu à la fin des années 1990 en Allemagne. Mais il faut attendre 2006 pour avoir la première exposition sur le peintre en français.

C’est en 2012 que la consécration arrive enfin lorsque Fabrice Hergott, alors directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, parvient avec l’aide de Jacqueline Munck et Laurence Bertrand Dorléac, les deux commissionnaires de l’exposition à le faire figurer dans : « L’art en guerre, France 1938-1947 : de Picasso à Dubuffet ».

Cette exposition a d’abord lieu au Musée d’art moderne où elle connaît un grand succès avant de rencontrer « un triomphe » l’année suivante au Musée Guggenheim de Bilbao. Désormais, le talent, le courage et la subversion immenses de cet homme et de ce peintre visionnaire sont reconnus !

Il est heureux que pour une fois ce « résistant par l’art » n’ait pas connu un destin tragique et ait pu nous livrer avec une lucidité féroce sa vision du Mal absolu qui recouvrait l’Europe et le monde. Car il s’est levé – par fraternité – et s’est servi de ses pinceaux comme des armes pour dire non avec le cœur, la pensée et l’esprit à cette tentative de destruction absolue de l’humain.

Pensons à tous les Joseph Steib inconnus – ou au talent moindre – qui ont lutté dans l’anonymat le plus total et qui ne passeront jamais à la postérité mais qui par leur résistance ont permis de lutter contre le Mal et ont contribué à secouer les fondations mêmes du IIIe Reich avant qu’il ne puisse être annihilé !

*« Le Salon des rêves » comment le peintre Joseph Steib fit la guerre à Adolf Hitler de François Pétry. Éditions La nuée bleue, place des Victoires.