Carnets

Mon Festival d’Avignon – Jour 1

Crédit : Eva Byele

Je suis arrivée à l’heure du déjeuner à Avignon. C’est beaucoup d’émotion pour moi d’être là car j’ai vécu ici, enfant, que j’y ai gardé des amies jusqu’à mes 17 ans et que la dernière fois que je suis venue au festival, j’étais adolescente.

Je suis revenue, il y a quelques mois, faire une halte avant d’aller dans les Alpes, et dans un café alors que je demandais au sympathique patron où je pouvais dormir, une femme derrière moi d’une soixantaine d’années avait lancé : « Venez à la maison ! » Cette femme, sans me connaître, m’invitait chez elle et elle a tenu parole. Comble des coïncidences, sa fille habite à quelques minutes à pieds de chez moi à… Barcelone !

Me voici donc au Festival d’Avignon pour quatre jours avec l’une de mes meilleures amies. Mais ce premier jour est pour moi, je suis seule ; elle me rejoindra plus tard. Je déambule en ouvrant de grands yeux pendant que la femme me montre la ville, les ruelles sympas, où faire mes courses. Je m’imprègne de l’ambiance, de l’effervescence de certaines rues qui contrastent avec certaines autres, désertes.

Je m’amuse de voir les personnes distribuer allègrement les flyers dans la rue pour nous inciter à aller voir tel ou tel spectacle. Je découvre nombre d’affiches. Cette années, 1200 compagnies présentent plus de 1400 spectacles, soit 400 pages de programme !

Choisir n’a pas été facile, je l’ai fait par mots clés : guerre, résistance, Camus, femmes, Beauvoir, mots, paroles… puis, en regardant les spectacles proposés par les théâtres où j’avais déjà repéré un spectacle qui me plaisait.

Après, il a fallu organiser les journées – le marathon – et faire coïncider l’envie avec la réalité. Et enfin, réserver mes places, ce qui n’est pas une mince affaire, sachant qu’une partie peut l’être par Internet et l’autre, uniquement par téléphone, en payant en liquide le jour du spectacle ; ce qui implique de se présenter en avance.

La dame qui m’héberge est gentiment venue me chercher et m’a attendue malgré le retard de mon train. Nous sortons de la gare, j’ai mon gros sac à dos et mon sac à main avec mon ordinateur sur l’épaule, nous longeons les remparts, nous enfonçons dans des ruelles et terminons dans un quartier résidentiel à un quart d’heure du centre. Elle me montre l’appartement, je dépose mes affaires, elle me prépare un café, me parle un peu du festival, de sa vie…

Au bout d’une heure, elle propose de m’emmener dans le centre jusqu’au Théâtre des Barriques où je vais voir la première pièce que j’ai choisie pour inaugurer ce festival d’Avignon, Combat 1944-1945. J’aime l’œuvre de Camus qui était un immense écrivain, philosophe, homme engagé et je suis passionnée par l’histoire de ce journal.

J’arrive devant le théâtre dans une ruelle avec mon ticket imprimé, dans le doute, je fais la queue. Un certain nombre de personnes sont déjà présentes. Je sais que le théâtre est petit, il n’a que 49 places, ce qui me paraît bien.

On me confirme que je dois bien obtenir un ticket contre mon papier imprimé, c’est chose faite ! Je découvre au guichet un journal édité à la manière de Combat avec toutes les explications de la pièce.

Je le prends, m’assieds sur le rebord d’un trottoir comme les autres. Il fait chaud, je prends un magazine pour me faire de l’air. Il est 16 heures, j’attends, puis, une jeune femme ouvre la marche et nous emmène dans la ruelle derrière.

Je trouve une place au dernier rang, mais cela me plaît, je vois parfaitement bien. Il fait chaud mais c’est supportable, je ne suis pas très bien assise non plus mais c’est également supportable. Il y a une bonne ambiance en attendant les retardataires. Avec quelques minutes de retard, le spectacle commence.

Nous sommes aussitôt plongés dans le Paris de la Libération en août 1944, ce Paris que Roger Grenier m’a raconté quand j’ai eu la chance de le rencontrer dans les bureaux de Gallimard, il y a quatre ans, pour parler de mon premier roman, Le Frère.

Alors que se déroule la pièce devant moi, je repense à ce qu’il m’a dit et à ce que mon grand-père, qui était également dans la Deuxième DB avec le général Leclerc, avait donc dû vivre.

Je ne sais pourquoi cette période, la Seconde Guerre mondiale, a toujours eu le don de me fasciner. Sûrement parce que mes grands-parents l’ont vécue, parce que mon autre grand-père m’a raconté un certain nombre d’anecdotes, de faits ; le premier étant décédé quand j’étais bien trop jeune pour pouvoir m’y intéresser.

Je pense également à ma grand-mère, qui, du haut de ses 94 ans, me raconte avec toute l’acuité de sa mémoire ces moments – historiques – et à qui je demande, inlassablement, de me répéter ce qu’elle a vécu.

La mémoire et la parole de ceux qui ont connu la guerre n’existeront bientôt plus, alors, je suis insatiable. Je veux pouvoir, un jour, à mon tour, transmettre.

Cette première pièce que je vois, Combat 1944-1945, (voir la critique) me conquiert. Je ressors dans la chaleur de la fin d’après-midi et cherche une table sous un parasol sur une place pour écrire. Il fait chaud, je commande une eau minérale glacée et citronnée et, au milieu du chant des cigales, me mets à écrire. Quel bonheur ! Ces cigales incarnent à elles seules la Provence. J’habite dans une ville où il fait également beau, chaud, où le ciel est bleu et où la lumière est magnifique, (voir mon post sur La lumière de Barcelone), mais les cigales, je ne les ai jamais entendues ailleurs.

Après une bonne heure d’écriture, je me dirige vers ma deuxième pièce, Les Deux Agathe – Haine et Résistance, au Vieux Balancier (voir la critique). Puis, il est tard et je réalise que je n’ai pas mangé depuis longtemps. Justement, le restaurant bio et végétarien sur la place me paraît correspondre à mon envie.

Je trouve une place en terrasse. La jeune femme, amène, m’explique que c’est un restaurant itinérant qu’elle a créé avec son frère. Elle me conseille des plats en format tapas. Je sors mon carnet, commence à écrire pendant que quelques gouttes commencent à tomber.

Je sirote mon verre de vin blanc frais, regarde le ciel qui s’obscurcit et admire la beauté de la ville. J’observe les gens autour de moi, j’entends parler une actrice à ma gauche, qui raconte son rôle, les déboires de la metteure en scène qui vient d’avoir une aventure sans lendemain, la difficulté de faire connaître la pièce et « l’enfer de tracter ».

Les plats arrivent, ils sont extrêmement copieux ! Un seul m’aurait suffit et non trois, peu importe, je demanderai un doggy bag. La cuisine est à la fois raffinée, rustique et typique, j’adore ! La pluie, finalement, s’est arrêtée. La fatigue de la journée commence à se faire sentir et je décide de rentrer.

La nuit, l’ambiance est autre, certaines ruelles sont presque impraticables, les restaurants sont pleins, tout est beau et donne envie même si certains sont trop touristiques à mon goût.

J’entends parler plusieurs langues et je souris au passage de trois jeunes musiciens espagnols ; les entendre est un peu me ramener chez moi… à mon autre chez moi. C’est étrange de penser que j’ai un pays d’origine et un pays d’adoption, que j’aime les deux, que j’ai besoin des deux, que je ne pourrais vivre, je pense, sans cet ailleurs que l’un représente par rapport à l’autre.

Une fois arrivée sans encombre chez la dame qui me loge, nous passons quelques heures à papoter sur la politique, la littérature, le théâtre, la condition des femmes, c’est intéressant et pour illustrer notre conversation, je lui offre le livre Écrivaines issu du projet scénique éponyme que j’ai créé.

Une fois dans ma chambre, je ne me couche toujours pas, j’ai trop de choses à écrire et puis, les jeunes sur la terrasse à côté chantent et jouent de la guitare. La jeune fille a une très jolie voix, je serais bien allée toquer à leur porte pour parler, boire un verre et chanter aussi avec eux. Au lieu de cela, je m’oblige à me coucher pour profiter de la journée suivante qui sera, elle aussi, forte en émotions et réflexions.