Réflexions

Écrivaine

Écrivaine, ce mot n’est toujours pas entré dans le dictionnaire en 2017 ! Nous devons parler d’une femme écrivain ou d’une auteure, à la rigueur, mais pas d’une écrivaine. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas correct grammaticalement ? Balivernes ! C’est une affaire de pouvoir. N’oublions pas la phrase de l’écrivaine canadienne Margaret Atwood : « Un mot après un mot après un mot, c’est cela le pouvoir ! »

Ce sont les mots que nous utilisons qui nous permettent de nous identifier, de rêver, d’être. Qu’une écrivaine en 2017 soit toujours obligée de dire qu’elle est une femme écrivain, c’est devoir se référer – éternellement – au masculin !

Pourquoi ne pas se contenter du terme « auteure » ou « autrice » comme on l’entend ou le lit parfois ? Parce que la vocation de l’écrivain n’est pas la vocation d’un auteur, parce que la responsabilité d’un écrivain n’est pas celle d’un auteur. Le terme « auteur » est à mon sens davantage réducteur.

Pour moi, le fait d’être écrivain, écrivaine est dans la lignée de « l’engagement » dont parlait Sartre. Pour lui : « Écrire, c’est déjà agir. Une fois que l’on écrit, on n’a pas le choix, on est engagé par le fait même d’écrire. »

Je crois en effet, comme il l’énonçait, que « l’écrivain est responsable de son temps. Il doit se mêler de politique, même s’il doit rester un écrivain ». L’essai qu’il a publié à ce sujet en 1947, Qu’est-ce que la littérature ?, est passionnant. 

En ce qui me concerne, c’est bien parce que j’ai conscience du rôle de l’écrivain au sens sartrien mais aussi camusien du terme que je peux dire : « Je suis écrivaine. » Cela m’a pris dix années. Comme Beauvoir le déclarait avec lucidité : « On ne naît pas femme, on le devient. », je peux dire, de même : « On ne naît pas écrivaine, on le devient. »

Comme Beauvoir le révélait à Violette Leduc dans le magnifique film Violette de Martin Prévost : « C’est l’écriture qui te donne tout, c’est elle qui te donne tes victoires. Ce sont tes livres qui te feront avancer… » Eh bien, c’est exactement cela ! C’est l’écriture elle-même qui ouvre le chemin, la voie à soi-même, à son être profond, et qui permet de dire un jour : « Je sais qui je suis, je sais ce que j’ai au fond de moi. Je n’ai plus peur. Je suis. »

Depuis des années, j’écris sur l’histoire, la politique, le féminisme, la création, j’écris des romans, de la poésie, des textes et des livres qui ont vocation à être joués au théâtre. Je ne veux pas être réduite à mon sexe. Je veux que mes textes soient lus, entendus sans a priori – même si cela reste utopique, je pense, dans la majorité des cas – et qu’ils jouissent du même crédit que s’ils avaient été écrits par un homme. Et c’est pour cela, que, paradoxalement, je dois affirmer que je suis une écrivaine.

La raison essentielle à cela est que je crois profondément à ce que disait Tolstoï sur le sujet, à savoir que « l’on n’a pas de sexe lorsque l’on écrit. » Ce n’est évidemment pas le cas de tous les écrivains mais je sais que c’est le mien. Dans plusieurs de mes livres, mes héros sont des hommes. Eh bien, je suis eux ! Je ne suis pas eux depuis le point de vue d’une femme. Je suis eux même si évidemment il y a des choses que je ne pourrai jamais ressentir dans ma chair ; mais dans mes livres, j’ai cette capacité extraordinaire à me glisser dans la peau d’un autre – c’est d’ailleurs l’une des jouissances de l’écrivain – ainsi suis-je homme, vieux, enfant, adolescente ou femme…

Je ne crois pas au fait qu’il y aurait une écriture ou une poésie « féminines » du moins, pas chez les grandes écrivaines. Après, lorsqu’il s’agit d’amour ou de sexualité, on sent l’expérience fantasmée ou réelle de l’auteure à partir de son corps. Il en est d’ailleurs de même pour les poésies de Baudelaire ou d’Apollinaire…

Mais il est important d’insister sur le fait qu’il n’y a pas « de littérature féminine », sinon, nous devrions parler d’une « littérature masculine ». Or, il n’y a rien de commun entre Dostoïevki, Stendhal, Jack London ou Edgar Allan Poe. Eh bien, il en est de même pour Louise Ackermann, Virginia Woolf, Toni Morrison ou Joyce Carol Oates ! Donc, encore une fois, n’enfermons pas la création des femmes, ne la réduisons pas !

J’ai créé le projet scénique Écrivaines pour rendre hommage justement à toutes ces femmes qui ont ouvert la voie de la littérature en montrant tous les types d’écriture dont elles avaient usé et tous les domaines dans lesquels elles avaient excellé. De Madeleine de Scudéry qui a initié la littérature précieuse à Anaïs Nin qui a ouvert la voie à l’écriture érotique en passant par Olympes de Gouges qui a écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Adélaïde Dufrénoy qui s’est battue pour la reconnaissance des femmes auteures, Marie Bonaparte qui a introduit la psychanalyse en France en traduisant les œuvres de Freud et Alexandra David-Neel, l’une des premières écrivaines voyageuses.

Il est temps de nous emparer de ce beau mot, « écrivaine », et de le faire nôtre. Que les écrivaines actuelles assument enfin ce qu’elles sont et arrêtent de s’excuser d’être sur un plateau, une scène de théâtre ! Qu’elles se sentent enfin légitimes pour aider les autres jeunes femmes à elles aussi se sentir légitimes et oser dire : « Je suis écrivaine ! »

À celles qui se désolent de n’entendre que le mot « vaine » dans « écrivaine » qu’elles se consolent. Premièrement, il y a également le mot « vain » dans « écrivain ». Deuxièmement, qu’elles songent à la magie qu’offre notre langue et qu’elles entendent enfin : « veine ». Car oui, écri-veine, c’est l’écrit qui passe dans nos veines ou qui vient de nos veines ! Or, les veines, c’est le sang, l’essence même de la vie ! Qu’elles s’en réjouissent alors !

Nous n’avons pas besoin d’artifice. Nous portons l’écriture en nous. Notre monde est tellement vaste. N’oublions jamais que nous créons le monde, que c’est nous qui l’enfantons. Eh bien, faisons de même avec les mots ! À nous de nous emparer de nos plumes et de les tremper à l’encre de notre intelligence, de notre sensibilité, de notre sagacité, de notre talent et de notre génie pour pouvoir nous lever contre les injustices, prendre notre place dans la cité, et proclamer dignement : « Je suis écrivaine ! »