Sur scène, des sculptures d’albâtre, de plâtre, des nus, certains recouverts de draps d’autres non ; au milieu, une table, à droite, une chaise. On découvre Camille, âgée, qui vient de passer 30 années dans un asile.
Elle témoigne que son frère, Paul, et sa mère ne sont jamais venus la voir ni ne lui ont écrits. Camille, jeune, bientôt apparaît. Elle est belle, passionnée, voluptueuse, sensuelle et débordante d’énergie.
Au fur et à mesure que se déroule la pièce, un rapprochement s’opère entre les deux femmes ; la plus âgée essaie de mettre en garde la plus jeune de l’influence – néfaste – de Rodin et du fait qu’il lui prendra tout : son talent, ses idées, son œuvre !
Elle ne veut pas y croire, elle l’aime passionnément ; il lui a toujours promis le mariage. Pourquoi aurait-elle des raisons de se méfier et de ne pas le croire ? Qui pourrait se douter que, jamais, il ne quittera sa femme ? La femme, âgée, essaie également de la mettre en garde contre sa propre famille, son frère, et sa mère, qui, manipulés, la conduiront à l’asile et ne s’occuperont plus jamais d’elle pendant 30 années.
Pour le moment, la belle et insouciante Camille, qui est en train de créer sa gloire et une œuvre magistrale, se réjouit de chaque bonne nouvelle. Rodin a réussi à la faire exposer au Salon, il a même écrit une lettre au ministre pour parler d’elle ! Preuves irréfutables de l’appui du maître. Le grand écrivain Mirbeau déclare : « qu’elle est sans contredit l’unique femme sculpteur sur le front de laquelle brille le signe du génie ».
Elle en rit mais elle est si fière ! Son rêve est en train d’advenir… Car, quel est-il, ce rêve, à part de pouvoir vivre sa vie de sculptrice, de pouvoir continuer à sculpter chaque jour de sa vie ?
Mais, bientôt, Rodin, qui commence à voir qu’elle lui échappe – et, se sentant menacé par son talent -, fait tout pour la ramener sous sa coupe et la briser. Il envoie même des espions pendant ses absences qui lui révéleront les œuvres auxquelles elle travaille. Ainsi, quand viendra le temps des expositions, ses œuvres n’auront plus aucun intérêt, ayant été entre-temps copiées – grandeur nature et en plusieurs exemplaires – par les élèves du maître.
Tout est fait pour mener Camille Claudel au bord de la folie et la jeter dans les bras du désespoir. Elle n’a plus de commande, plus de quoi payer son loyer, son atelier, elle a peur, elle sait que dès qu’elle s’absente, on vient lui voler son œuvre ; on la calomnie, invente des rumeurs à son sujet et la traite de paranoïaque – comment pourrait-elle ne pas le devenir ?
C’est une femme de nature sauvage, passionnée, enflammée et solitaire, c’est une immense artiste qui se suffit à elle-même. Mais, bientôt, elle n’a plus aucun appui. Non seulement, sa famille lui tourne le dos, ne l’aide pas financièrement, mais l’acharnement que met Rodin à la détruire – par peur qu’il ne la dépasse par son génie – la rend sans voix.
Sans allié, sans protection, sans moyen financier, la jeune femme finira par renoncer, brûlée jusqu’à la racine par son amour – aveugle – pour Rodin. On la voit sombrer. C’est bouleversant de voir la jeune femme lutter avec elle-même avant de finalement se rendre compte, petit à petit, que tout ce que lui annoncé la vieille femme est en train d’advenir et qu’elle avait raison.
Des danses s’opèrent entre les deux Camille, la jeune et la vieille, qui se rejoignent, finissent par se ressembler pour devenir une, la Camille, au moment, de son internement demandé par son frère, puis par sa mère, quelques jours seulement après l’enterrement de son père qu’elle adorait.
La beauté, l’audace, le génie et l’immense liberté de l’artiste lui auront été fatales. Il n’y a pas de place dans la société pour les femmes comme elle ; il n’y a de la place que pour les êtres médiocres, conformistes, qui se plient à la misogynie.
Camille Claudel aura été coupable d’avoir eu trop de génie, d’avoir été trop visionnaire, douée, sensible, belle, libre de son corps et de son esprit. Elle le paiera durement. 30 années durant, elle aura été internée dans un asile provençal dans des conditions abominables où un froid glacial régnait et où les autres femmes internées mouraient à côté d’elle.
On exigera d’elle qu’elle sculpte dans ce lieu, elle s’y refusera toujours. Elle aura encore eu cette liberté-là, cette unique liberté de garder son art pour elle, de ne pas l’offrir au monde puisque ce monde était trop ignare, sexiste, ingrat et violent et qu’il lui avait tout pris. Elle réussit donc malgré tout à garder son génie même si cela signifiait ne plus le livrer aux hommes !
Cette pièce, superbement interprétée par les deux actrices dont la complicité est immense et le jeu, grandiose, portée par une musique sublime, est un chef d’œuvre ! Elle pose la question de la place des femmes artistes dans la société, sûrement l’une des plus difficiles qui soient.
Aujourd’hui encore, être une femme et être une artiste est un exploit. On demande encore bien souvent aux femmes de choisir – inconsciemment – entre leur carrière et leur vie de famille. Leur solitude est parfois immense tant elles doivent déployer d’énergie pour continuer malgré tout à créer leur œuvre.
Cette pièce est un magnifique hommage à Camille Claudel et aux femmes artistes. J’espère qu’elle continuera à être vue, entendue, célébrée et que l’on redonnera à Camille Claudel la place qu’elle mérite, celle d’être notre plus grande sculptrice ! Que ce spectacle qui nous révèle un drame – universel – puisse faire bouger les mentalités et éveiller les consciences sur la place des femmes artistes !
Camille contre Claudel
Texte et mise en scène Hélène Zidi avec Lola Zidi
Théâtre du Roi René (Avignon)