Réflexions

L’imagination au pouvoir

Crédit : Eva Byele

Alors que je m’apprêtais, comme tous les vendredis matins, à aller travailler dans un café mon dernier roman, je croise un ami peintre sous son parapluie. Nous nous embrassons, sourions, nous souhaitons la bonne année, il est encore temps !

Il me propose d’aller découvrir son atelier dans le quartier, après un instant de tergiversation, je décide de dire oui et de me laisser porter par la vie, les rencontres, et les envies.

Nous discutons en marchant sous la pluie. Nous entrons, l’espace est vaste, il le partage avec d’autres créateurs, une immense peinture d’un dogue allemand prend tout le mur du fond, au-dessus de sa table de travail. Je connais cette peinture, elle est géniale. Je me mets en-dessous et il me prend en photo. Il m’offre en café et nous discutons de son métier de peintre, de la lumière de Barcelone qui ressemble tant à celle de la Provence, notre terre de cœur, même si pour lui, là-bas « la lumière y est encore plus claire ».

Nous parlons et profitons du moment présent, j’admire son travail, ses dessins qui pendent, accrochés à des fils, ici et là. Mais toutes ses toiles sont vendues. Comme il me le révèle : « Je n’ai pas de stock, j’aime que les toiles aussitôt peintes, soient vendues, exposées » ; tout l’inverse de mon peintre, le héros de mon dernier roman, qui garde toutes ses peintures pour lui, sans jamais ne serait-ce que songer à les vendre.

Après ce bon moment, des rires et une discussion profonde, je le laisse à son labeur et m’en vais vers le mien. Il me conseille un café pour écrire au chaud. En effet, le parquet en bois, les bouteilles, et livres en décoration, la musique jazzy ainsi que les petites guirlandes lumineuses accrochées au fenêtre en font un endroit cosy.

Je commande un rooibois qui me réchauffe, regarde dehors la pluie tomber avec force et mon esprit s’évade. Je songe alors que, pour la première fois de ma vie, je décide de dire un grand oui à l’univers. Il m’arrive des choses incroyables – que je crée – que je provoque par ma volonté, mon désir et mes actes, et, tout cela n’est qu’un début. C’est vertigineux de comprendre, réaliser enfin et voir que nous pouvons choisir notre vie, que nous pouvons décider qui nous sommes, qui nous voulons être.

Je pense à tant de personnes qui ne choisissent pas leur vie, et dont la force, la volonté et le désir des autres priment sur leur désir, leur force et leur volonté. Il doit sûrement y avoir un confort à ce que les autres choisissent pour soi, mais, ce que l’on récolte c’est du malheur, le malheur de ne pas être soi, d’être une terre inexplorée, inconnue à soi-même. Comment peut-ont être son propre inconnu ? Bien sûr, une part de soi nous échappe, constamment, d’où la nécessité de la psychanalyse, de l’écriture qui nous révèlent notre inconscient et nous aident à prendre la mesure de certains actes, pensées, modèles de répétitions qui se mettent en place, que nous reproduisons.

En fait, sans la psychanalyse, l’écriture, il me semble parfois que l’être humain est condamné à être un hamster qui tourne éternellement dans sa cage, enfermé en lui-même. Mais, quand il y a ouverture, quand il y a révélation, compréhension, gouttes à gouttes, de cet inconscient, alors, la roue arrête de tourner et le hamster peut descendre de sa roue et se rendre compte qu’en fait, il a tout. Pourquoi courait-il inlassablement ? Sur le sol, il y a de l’eau, de la nourriture, et même des échelles pour accéder à d’autres niveaux.

Tant de gens paraissent étrangers à eux-mêmes, inconscients de leur propre moi, incapables de dire un vrai « je ». Comme « je suis peintre », « je suis écrivaine », « je suis… »

On m’opposera que nous sommes multiples, indéfinis, parfois, que le soi est changeant. Oui, mais il y a une réalité immuable de l’être profond. Je suis certes écrivaine mais je suis également poétesse, dramaturge, pianiste, actrice, metteure en scène et mille autres choses aussi – comme tout un chacun – alors, qui suis-je ? Peut-être, tout simplement, une amoureuse des mots, de la nature, du beau, de la lumière, de la poésie, de la musique, du ciel, de tout ce qui élève l’âme. Alors, suis-je peut-être tout simplement une artiste ; car tout cela a à voir avec la manière de vivre, d’être au monde.

Ce qui rend les gens heureux leur appartient, moi, c’est lire, écrire, regarder le ciel, la lumière, voir ma fille rire, mon homme jouer de la musique, marcher avec eux dans la montagne, parler avec des gens que j’aime, vraiment, profondément, rencontrer l’autre, trouver des connexions entre les êtres, comprendre, avancer, rire, danser, m’amuser, réfléchir, composer au piano, écouter de la musique, écouter les mots résonner au théâtre, faire l’amour, voir un paysage à couper le souffle, imaginer un cheval galoper à côté de moi quand je suis sur la route (image que j’ai depuis l’enfance), imaginer que je suis dans la savane quand j’ai un champ d’oliviers avec une lumière rasante de fin d’après-midi devant moi, manger des produits naturels de qualité, boire, fumer aussi, parfois, nager et me sentir comme un poisson dans l’eau et trouver le travail des autres extraordinaire et comprendre que nous formons une grande chaîne, que chacun est un maillon, que je suis incapable de faire ce que font et réalisent avec brio mes proches comme ils sont incapables de penser et écrire mes livres, que j’ai besoin de leur regard sur moi, le monde, de leur pensées, de leurs idées, de leur expérience, de leur résilience, car ils me donnent un peu d’eux-mêmes et des clés pour moi, mieux avancer, mieux me comprendre, et au final, me sentir proche d’eux.

Après avoir longtemps eu peur de ne pas y arriver, je sens que tous mes projets, initiatives obtiennent des oui, des encouragements, il faut s’habituer à ces petits succès qui en sont des immenses car ils sont le fruit d’années de travail sur soi et de travail pour que cela marche.

C’est vertigineux de se dire qu’on y arrive enfin, que les rêves, envies, désirs se réalisent, mais qu’en tombant, ils laissent la place à d’autres ou ils ouvrent d’autres perspectives. La phrase de Camus me revient, un instant : « Tout accomplissement est une servitude. Il oblige à un accomplissement plus haut. »

C’est vrai, la quête est sans fin, elle est effrayante, folle, mais en même temps, si c’est notre voie, notre destin, notre chemin de vie, de bonheur, que nous construisons, sachant que l’on choisit, crée cette vie avec cette part d’inconnu, de hasard, de chance, tout ce que nous ne maîtrisons pas et qui fait partie de la vie…

Comme disait le philosophe et éditeur Xavier Bassas, le commissaire de « L’imagination au pouvoir* », hier soir, à l’Institut Français de Barcelone lors de La Nuit des idées : « Le futur n’est pas révolutionnaire, c’est le présent qui est révolutionnaire. » Oui, pour que le futur le soit, il faut que le présent le soit.

C’est effectivement par l’imagination que nous créons, inventons notre vie. Laissons notre imagination guider notre vie, car, comme l’écriture, elle est performative. Ce que nous imaginons peut advenir si nous avons la volonté de réaliser nos rêves. Mon père disait toujours : « Quitte à rêver, autant rêver grand ! » Certes, mais je pense surtout qu’au-delà de rêver, attelons-nous à réaliser nos rêves.

Par l’imagination, notre pensée et nos rêves, nous pouvons renverser des systèmes de pensées, de domination, ancestraux, j’en ai la preuve tous les jours, et je sais que ce n’est qu’un début. Alors, rêvons tous, rêvons grand, rêvons notre vie et que notre imagination soit au pouvoir de notre vie afin qu’elle puisse l’être de manière collective !

*« L’imagination au pouvoir » a été l’un des slogans de Mai 1968.