Réflexions

Le danger de l’abstentionnisme

Crédit : Eva Byele

Un homme devant moi est courbé en avant pour dévorer son pan con tomate. Avide, il boit son verre de vin rouge d’un seul trait. Il le repose, s’essuie la bouche du revers de la main, dans un geste grossier puis lève son corps lourd dans un effort pour aller dehors. Là, sur la place illuminée et arborée, il fume. Il regarde les passants en gardant sa main collée à sa cigarette très près de la bouche.

Derrière moi, un téléviseur annonce : « deux morts dans les manifestations au Venezuela » et montre des images de camions incendiés, de personnes encagoulées lançant des cocktails Molotov et de grands feux qui barrent les routes pendant qu’à d’autres endroits, des personnes, assises en cercle, se tiennent les mains. La violence contre le pacifisme. Mais un seul mot d’ordre, un seul mot commun : la Révolte !

La révolte au sens camusien du terme. Celle qui fait qu’un jour, un être se rebelle contre une autorité, contre un Autre qui lui imposent l’inacceptable, même s’il les a acceptés jusque-là. Un jour, quelque chose en lui se soulève, l’envahit et se transforme en révolte. C’est pourquoi toute révolte est accompagnée d’une prise de conscience.

Cette révolte est généralement altruiste puisque, bien qu’une personne commence à se rebeller pour elle-même, elle se révolte pour l’humanité, pour que les autres êtres humains ne vivent pas ce qu’elle a vécu, ce qu’on lui a imposé.

C’est le cas de l’esclave qui se rebelle contre le « maître ». Il le fait au nom de tous les esclaves contre tous les « maîtres » et l’on peut être sûr que cette personne, devenue sujet par cet acte de rébellion fera tout en son pouvoir pour abolir l’esclavage et ainsi s’assurer que cela n’arrive pas à son frère. L’illustre exemple en est Frederick Douglass, qui, après avoir réussi à briser les chaînes de l’esclavage et à s’enfuir dans le nord des États-Unis, deviendra un fervent abolitionniste.

C’est le cas des suffragettes dans les années 1900-1918 en Angleterre avec à leur tête Emmeline Pankhurst et Emily Davison qui demandent pour toutes les femmes le droit de vote.

C’est pourquoi la « révolte » est altruiste. Mais quid d’une révolte, d’un mouvement de protestation, de sanction comme le fut le premier tour des élections présidentielles en France qui amènerait aux portes du pouvoir le pire, l’extrême, la potentielle tyrannie, la xénophobie ?

Ce vote serait-il au contraire l’expression d’une révolte qui n’a pas su se faire entendre puisque finalement Marine Le Pen est passée au second tour ? Pourtant, la montée de Mélenchon, la sanction de Fillon et « l’élection » d’un homme de 39 ans jamais élu auparavant sont des formes de révolte contre le pouvoir établi.

Mais il ne faudrait surtout pas se tromper de cheval de bataille. L’abstentionnisme n’est en aucun cas une forme de sanction et de révolte, il offre la voie royale aux extrêmes et au Front National. Il faut en avoir conscience et agir de manière citoyenne pour soi, pour les siens et pour l’humanité.

Nous ne pouvons avoir à la tête du pays des droits de l’homme un gouvernement xénophobe, négationniste qui nous sortirait de l’Union européenne, ce socle qui nous protège de guerres fratricides depuis plus de 70 ans, qui nous isolerait et qui, soyons en convaincus, ne ferait qu’aggraver le terrorisme !

Avoir Marine Le Pen à la tête de notre pays nous mènerait non seulement à une fracture profonde au sein de la diversité culturelle qui forme la France, mais aussi à une haine de l’autre et à une augmentation de la violence et du fondamentalisme.

Regardons les États-Unis, plus on arme la population, plus on la maintient dans cette société du « tout divertissement », plus elle devient violente. Luttons contre cette croyance néfaste et dangereuse qui veut qu’en augmentant soi-disant la sécurité par davantage de protection et donc d’armement, on éradiquera le terrorisme. Il faut peut-être essayer de comprendre pourquoi il est là aujourd’hui sur notre sol, prendre le problème à la racine et non à l’inverse comme le propose le FN.

En somme, posons-nous les bonnes questions, ne nous laissons pas aveugler par de fausses promesses et ne confondons pas abstentionnisme et révolte ! L’un nous mènerait à la catastrophe, l’autre peut s’exprimer de mille autres manières que par le fait de ne pas voter.