Réflexions

Au Panthéon !

Ève avant le péché, 1890, Eugène Delaplanche

Alors que la polémique fait rage autour de la décision de la maire de Paris Anne Hidalgo de « ne pas trouver de sépulture » au grand écrivain Michel Déon qui est décédé en 2016 en Irlande, je ne peux m’empêcher de songer à toutes ces polémiques qui n’ont jamais eu lieu quant au fait de trouver une sépulture à nos grandes écrivaines, à fortiori de les faire rentrer au Panthéon !

Que Simone Veil soit rentrée au Panthéon, il y a quelques mois, fut essentiel ! C’est une avancée. Mais combien de Simone Veil oubliées ? Pourquoi nos grandes poétesses, écrivaines, dramaturges telles que Olympe de Gouges, Constance de Salm, George Sand, Renée Vivien, Louise Ackermann, Marceline Desbordes-Valmore, Marcelle Tinayre, Anna de Noailles, et tant d’autres ne sont-elles toujours pas au Panthéon ?

Les politiques tentent d’« endormir » les revendications pour que d’autres femmes rentrent au Panthéon en donnant sa place à Simone Veil. Si elle n’y était pas rentrée, de toutes les manières, les gens seraient descendus dans la rue… Donc, oui, c’est une excellente nouvelle qu’elle y soit rentrée. Mais les autres ? Et toutes les autres ? Il faut se battre pour qu’elles y rentrent aussi !

En ayant accès à la pensée des femmes grâce aux femmes écrivains, j’ai pu remonter très loin dans l’histoire de la lutte des femmes pour leur émancipation, pour leur liberté d’être et de penser. Car au-delà des luttes pour le droit de vote, le droit à l’avortement, le droit à l’éducation, il y a un autre droit qui reste sous un plafond de verre, c’est le droit à la création. Il faut se rappeler La Querelle des poètes au lendemain de la Révolution française qui opposa le poète Écouchard-Lebrun et la grande poétesse Constance de Salm.

L’homme voulait interdire aux femmes de composer des vers. Pourquoi donc un tel interdit ? Il faut toujours se demander pourquoi quelque chose est interdit, ce qu’il représente car c’est ainsi, souvent, que l’on comprend l’ampleur de l’enjeu. C’est notamment en voyant à quel point son maître s’opposait à son instruction et à ce qu’il apprenne à lire que le jeune esclave, Frederick Douglass, comprend que dans les livres se trouve la clé de sa liberté. Dès lors, il s’enfuira, apprendra à lire et deviendra le grand sénateur, fervent abolitionniste que l’on connaît.

Il s’agit donc bien de se poser les questions : « Pourquoi ce poète voulait interdire aux femmes de versifier comme cet autre homme, Sylvain Maréchal, qui voulait interdire l’apprentissage de la lecture aux filles ? » Cela va également avec la restriction de l’éducation qui était faite aux femmes et que, même lorsqu’elles accédaient aux diplômes, ils n’avaient pas la même valeur que ceux des hommes.

C’est donc bien parce qu’il y a là un enjeu fondamental ! Dans la culture, dans la littérature, se cachent la liberté de l’être humain et donc de la femme. La lecture de grands livres puis l’écriture peuvent permettre de comprendre le monde dans lequel on vit puis d’en créer un nouveau. Car l’une des quêtes essentielles de l’être humain – et de l’intellectuel – est de comprendre.

Pour en revenir au plafond de verre de la création, il y a quelque chose effectivement d’essentiel dans la création, c’est que l’être devient sujet et non plus objet. Or, les sociétés cherchent à objetiser les femmes, à les réduire à un objet sexuel, non pensant, dénué de toutes factultés sensitives, cognitives, intellectuelles. Un être qui passerait directement de l’objet de désir et de séduction à une mère qui procrée et assure la descendance de l’homme mais sans plus aucun sex-appeal.

Or la femme qui crée, qui est-elle ? Elle n’est plus la muse, inspiratrice, dont les poètes ont tant chanté les mérites. Non, la femme qui crée est la liberté-même, elle est sujet, elle dit « je », elle est désirante, elle dit ce qu’elle souhaite, ce qu’elle ne veut pas.

Son monde est tellement vaste qu’elle ne peut être enfermée dans aucune boîte ; son esprit est plus vaste que l’océan, sa passion, dévorante, sa jouissance, immense ; elle recrée le monde. Et en recréant le monde, elle a le pouvoir de devenir qui elle veut, elle s’invente chaque jour et revêt les vêtements qu’elle souhaite.

En somme, elle acquiert du pouvoir ; ce qu’on a toujours cherché à empêcher. La femme qui crée est une menace pour l’homme puisqu’elle est libre ; elle est une libre-penseuse, elle invente, imagine, rêve, crée le monde de demain.

Peut-être sera-t-elle à l’origine d’une révolution dans l’esprit des femmes comme Simone de Beauvoir l’a été avec Le Deuxième Sexe. Comme dit Marguerite Duras : « On ne connaît jamais la portée d’un événement, il a des ricochets qui peuvent s’étendre pendant des mois, des années. »

Le créateur, la créatrice, n’a pas forcément conscience du pouvoir de ses écrits et pourtant ceux-là changent des vies. « La lecture est la porte d’entrée de la culture » et la culture est l’ouverture vers le monde d’hier et de demain.

Pour s’approprier sa vie, créer sa place dans le monde, il faut créer, s’inventer, être soi. C’est pourquoi la création des femmes est un enjeu politique ; c’est un enjeu de société. Il faut que les femmes se déshinibent, s’unissent, s’encouragent, s’aident, s’entraident, se serrent les coudes, se tirent vers le haut. C’est en créant et en montrant aux autres leurs œuvres que le monde changera !

En faisant en sorte que les femmes créent le moins possible et en dénigrant leurs œuvres ou leurs auteures, en n’éditant plus leurs ouvrages, en ne les mentionnant dans aucun livre sur la littérature ou l’art par exemple, les hommes écartent consciemment leurs rivales de toujours, les femmes libres !

Certains hommes souhaitent que le monde ne soit façonné que par leurs mains, et essaient depuis toujours d’y parvenir. Heureusement, des femmes – nos héroïnes – se sont toujours levées dans tous les domaines qui soient pour montrer l’ampleur de leur génie et s’y opposer.

Célébrons ces femmes, inspirons-nous de leur force et leur pensée et soyons des créatrices du monde et de notre vie ! Un jour, peut-être, la phrase inscrite en haut du Panthéon sera : « Aux grands êtres la patrie reconnaissante ! » Et non plus « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ! » Œuvrons pour cela !