Portraits

L’homme au portefeuille 

Crédit : www.drawingbarcelona.com

Il est là avec son portefeuille marron en cuir dans la main, à moitié ouvert. Il est petit, rougeaud, a des cheveux blancs – en bataille –, avec des lunettes rondes, de grandes oreilles, un double menton, un ventre proéminent et un air boudeur. Il fait une moue, considère tout avec un mélange de dégoût, de résignation et de circonspection.

Il attend que le serveur revienne derrière le zinc pour pouvoir payer. Payer quoi ? Un café, un thé, une bière ou un verre de vin rouge ? Cela se pourrait bien vu la couleur de ses joues. En même temps, il fait froid, dehors et il faut bien se réchauffer.

Cet homme a l’air seul et, pourtant, pressé. Il a un air triste, renfermé, il avance comme un pingouin, fait de tous petits pas, lâche un : « Adeu » et s’en va.

En passant devant les tables du fond, mon regard est attiré par une bouteille de vin rouge à moitié vide. Deux verres remplis reposent devant deux hommes qui se regardent comme des enfants. Ils doivent avoir dans les 70 ans, ont les cheveux gris, des rides plein le visage. Leur corps est penché en avant dans un mouvement similaire.

Leurs yeux sont rieurs, on dirait deux amis de toda la vida, comme on dit ici. Ils semblent émerveillés de tant de souvenirs. À moins qu’ils ne se soient pas vus depuis 30, 50 ans et que la vie ait fait recroiser leurs chemins pour leur plus grand bonheur ?

Ils sont touchants, je les observe. Je souris, ils me transmettent de leur joie, première, enfantine, celle essentielle de l’amitié. Dans l’amitié, il y a de l’amour, mais il y a peut-être quelque chose de plus juste. On se dit parfois plus facilement les choses, on exige moins. Il n’y a pas d’exclusivité et on ne se voit pas tous les jours, ce qui dans l’amour peut, parfois, noyer les sentiments et les rendre amers.

L’amitié, la vraie, est celle où deux êtres peuvent ne pas se voir pendant des années et, en un instant, se retrouver comme s’ils s’étaient quittés la veille. C’est celle qui ne juge pas, ne condamne pas, écoute, conseille, entend, partage, rit, c’est cette oreille et cette épaule bienveillantes.

L’amitié, c’est celle qui ose dire aussi quand il y a injustice, incompréhension, fausse route. Or, l’amour, n’est-ce pas tout cela avec le désir, la passion, et les difficultés du quotidien en plus ? Finalement, c’est toujours un miracle quand certaines relations paraissent renaître à l’infini de leurs cendres, tel un phénix…