Carnets

La Virreina

Crédit : www.drawingbarcelona.com

En son cœur, une statue de femme ; un bronze dont le drapé dégouline jusqu’à ses pieds. Surélevée sur son socle, avec sa tête légèrement inclinée, son visage fin et son chignon tiré, cette femme est comme la protectrice de la place.

Une torsade entoure son joli visage avant de se terminer en chignon. Elle revêt une robe avec une cape qui fait des plis derrière et tombent en cascade. Son regard tout comme son visage sont dirigés vers le bas. Son profil est si fin. Elle porte des manches bouffantes et ses mains sont ramenées devant, sur sa hanche ou même plus en avant encore.

Elle ressemble à une femme du XVIIIe siècle ou du XIXe siècle. Qui est cette belle femme ? Que tient-elle exactement entre ses mains ? Un fagot de paille ? Cela pourrait être aussi des feuilles pliées les unes sur les autres. De dos, ou de profil – de là où elle est la plus belle -, on pourrait croire qu’elle tient un bouquet de fleurs, des livres, un manuscrit ou quelque ouvrage auquel elle tient.

Le haut de son drapé donne l’illusion qu’elle porte une capuche qu’elle pourrait rabattre sur son chignon pour protéger son visage aux traits si fins. De face, elle est peut-être un peu moins exceptionnelle que de profil où elle fait penser à un tableau de Vermeer. En-dessous d’elle, se trouve une petite fontaine, le tout posé sur une dalle qui ressort du reste de la place.

À une extrémité de la Virreina, est située une église en pierre, ocre, dont sept marches permettent d’atteindre le parvis. De l’autre, des bâtiments modernistes et une maison qui ressemble à un petit château avec ses tourelles et ses tuiles.

Un immeuble se dégage du reste. Ses dessins crèmes illustrant des harpes ou des coques de bateau parfois entremêlés, parfois qui se font face, décorent le premier étage sur fond de couleur brique. Ses volets, également de couleur verte, ses balcons en fer forgé, en font l’un des « joyaux de Gràcía », comme l’appellent les Catalans.

C’est le même architecte qui construisit l’église et cet immeuble, un certain Berenguer – l’un des disciples de Gaudí -, dont les œuvres sont enseignées en cours d’architecture. Et comme Barcelone regorge d’architectes, trahissant ainsi cette passion pour l’architecture, beaucoup connaissent cette belle place. Peut-être est-ce lui également qui construisit cette jolie statue ? Mais aucune plaque ne mentionne son nom.

L’atmosphère de la place change à chaque heure du jour. Arborée, elle offre un parfait abri au soleil, l’été. Dès le mois de juin, cependant, des feuilles quittent leurs branches pour joncher le sol. Aussitôt, elles deviennent jaunes, marron et une sorte de poussière emplie de feuilles désagrégées couvre le sol.

Le matin, calme, elle est encore le lieu des badauds, des oiseaux qui tournoient dans les airs, tel un balai. Un rayon de soleil, en son milieu perce vers 11 heures et vient éclairer la jolie statue qui trône du haut de son promontoire. L’après-midi, la place devient le lieu des enfants, leur aire de jeux favorite ! Alors que chiens et pigeons s’y sont rassasiés, c’est maintenant au tour des enfants d’envahir de leurs cris et de leur joie inextinguible cette place.

Ils jouissent alors d’une liberté totale. D’un bout à l’autre de la place, ils rient, courent, tombent, pleurent, s’arrosent, font de la trottinette, dessinent à la craie, apprennent à faire du vélo.

Ils se précipitent également chez le marchand de jouets qui a eu la bonne idée de prêter des jouets pour que les enfants les utilisent, ou dessinent à la craie sur les tableaux posés à cet effet devant ses vitrines.

Les parents, eux, surveillent d’un œil tantôt distrait, tantôt attentif leurs bambins. Au moindre pleur, ils vérifient les voitures, vélos, motos ou camions qui peuvent y passer. Puis, vient la distribution des bonbons, gâteaux, jus, tubes à faire des bulles.

Ils se connaissent tous ces enfants, ils vont ensemble dans les mêmes garderies, écoles… Ils se retrouvent là, pour certains, tous les jours. Ils y passent une à deux heures jusqu’à ce que leurs parents exigent de rentrer car il est tard et que le bain et le dîner s’imposent.

En fin d’après-midi et le soir, ce sont les jeunes, les étudiants et les moins jeunes qui prennent le relais. Là où les enfants étaient assis, sur les marches de l’église, une guitare, un djembé ou un gong retentissent.

On aperçoit des dreadlocks, des cheveux rasés ou seulement rasés d’un côté, ce qui est très en vogue chez les jeunes femmes pour montrer leur appartenance à une génération qui refuse un certain conventionnalisme. C’est alors le moment des bières, cigarettes, joints et rires ; des chiens aussi souvent les accompagnent. À côté, d’autres jeunes jouent de la musique.

Les trois cafés de la place sont pleins, et, un peu plus tard, surtout le week-end, un concert, un feu de joie, une séance de cinéma en plein air viendront encore davantage animer cette place où les voisins ne peuvent presque plus jamais dormir en paix mais où la beauté du lieu et son attraction la rendent l’un des lieux les plus festifs du quartier.

Alors, après que les mamans se soient retrouvées, le matin, pour un café rapide, une fois les enfants déposés à l’école, que les enfants aient pris le relais en jouant, puis que les jeunes aient bu tout leur soûl en riant dans les cafés, les écrivains se poseront, seuls et regarderont avec bonheur cet endroit changeant, jouissant de pouvoir à leur guise y écrire.

Ils pourront ainsi profiter de la tranquillité, de la beauté ou de l’animation de ce lieu unique. Quand ils ne voudront pas être seuls chez eux, ils viendront ici pour être dans la vie. Ils se laisseront inspirer par la lumière toujours différente, les couleurs et les rencontres que l’on y fait.