Réflexions

La peur du viol

Crédit : Eva Byele

Toutes leurs vies, les femmes sont inhibées par la peur du viol. Dès l’enfance – avec les contes mettant en garde contre les méchants loups – puis à l’adolescence – avec les mille recommandations de la famille, et enfin à l’âge adulte – avec la peur encore transmise par la société, le conjoint, sur le fait de rentrer seule, tard, habillée de telle ou telle manière…

Toutes leurs vies, les femmes portent en elle cette peur insufflée dès le plus jeune âge de l’agression sexuelle. Cette peur inhibe le comportement, les choix, les actes, les relations sexuelles, la liberté. Cette menace constante, qui peut arriver n’importe quand, n’importe où, est une arme de destruction massive. Elle conditionne les femmes, elle conditionne leurs vies. Combien d’actes requerront de la bravoure pour réussir à enfin sortir de cette inhibition et oser se dire : « Non, je ne veux pas être conditionnée par cette peur et je veux écouter mes désirs » ?

Ainsi voyager seule quand on est une femme est un acte de courage, d’émancipation et une volonté féroce de ne pas se soumettre à cette éternelle peur du viol qui nous fait regarder le monde avec le prisme de la peur.

Car c’est bien cela que l’on instille dans l’esprit, le corps et le cœur des femmes depuis l’enfance, la peur ! Attention, si tu t’habilles de telle ou telle manière, si tu oses sortir seule le soir, si tu oses avoir des relations sexuelles avec des hommes, si tu oses t’amuser en allant à des concerts, des fêtes, si tu oses rentrer tard seule, si tu oses avoir ta voiture, si tu oses voyager seule, si tu oses assumer ton corps, tes formes, ton pouvoir de séduction, si tu oses avoir des rêves, si tu oses t’accomplir, être toi, travailler dans le domaine que tu souhaites… Cette menace du viol plane toujours au-dessus des femmes comme une épée de Damoclès prête à tomber d’un moment à l’autre.

Pendant des siècles, tout a été fait pour inhiber les femmes et qu’elles ne sortent pas des sentiers battus, qu’elles restent à leur place, à la maison, avec les enfants ou dans les champs et dans les usines mais qu’elles ne montent pas dans l’échelle sociale à force de travail, talent, et qu’elles obtiennent de l’argent, du pouvoir, des réseaux pour ne plus enfin être seules.

Il n’y a pas longtemps, j’ai enfin entendu des hommes s’élever sur le sujet et déclarer : « Le viol est un problème d’hommes. » Alors que nous avons toujours entendu jusque-là : « Le viol est un problème de femmes. »

Avec beaucoup de perversité, il a toujours été « toléré » voir légitimé par les commentaires accompagnant ces comportements : « Tu as vu comme elle est habillée ? C’est du pousse au viol ! » « Tu as vu comme elle est maquillée ? Elle rentre comme ça le soir, toute seule ; il ne faut pas s’étonner d’être violée ! » « Non, il ne faut pas rentrer, seule, tard le soir ! » « Non, il ne faut pas voyager seule ! » En fait, il ne faut pas vivre avec notre corps de femme dans l’espace publique !

Ce corps dérange encore ! Est-ce que ce sera toujours le cas ? Bien que le problème du viol impacte psychologiquement les femmes toute leur vie durant, ce n’est pas un problème de femmes, c’est bien un problème d’hommes. C’est un problème d’éducation. C’est un problème de légitimation du viol. Il n’y a quasiment pas une série – américaine – actuelle où les femmes ne sont pas violées.

À force de voir des viols, ils sont banalisés, et en quelque sorte légitimés puisque cela devient une pratique courante. Or, c’est très grave et il faut dénoncer l’impact de ces séries que tout le monde regarde bé(a)tement – souvent, sans jugement.

Cette pratique – ainsi légitimée – du viol s’inscrit dans la tête des hommes – et jeunes hommes – comme une possibilité si la fille résiste – sachant que de toutes les manières, « quand elle dit non, elle veut en fait dire oui… » et cela s’inscrit dans la tête des filles un peu plus comme une possibilité peu importe ce qu’elles font, sont, leur âge…

Le viol n’est jamais assez durement puni, le viol est un crime et cela fait peu de temps qu’il est reconnu comme tel, et encore, il n’est pas considéré comme tel dans beaucoup de pays dans le cadre du viol conjugal, notamment…

On sait de plus à quel point il est difficile – impossible même parfois ? – de porter plainte pour les victimes ; leur parole n’est souvent pas « entendue » par les autorités « compétentes » et bien souvent, elles connaissent leurs agresseurs. Combien de ces hommes – violeurs – étaient des amis, petits amis, amants, maris, quand ce n’est pas un membre de la famille ?

Dès lors, comment oser dire, oser prendre la parole, oser dire l’indicible ? Que cette confiance, ce désir que l’on avait pour un autre a été détourné, perverti et qu’il est devenu une arme contre soi ! Et dans le cas où il n’y avait aucun amour ou désir de la part de la victime, c’est un drame de constater qu’un jour quelque chose a vrillé chez l’autre et a fait que son désir de possession a été plus fort que tout et qu’il a définitivement annihilé l’être en face de lui en lui volant cette part de lui-même.

Bien sûr, des femmes peuvent se « reconstruire » et se reconstruisent après des viols mais les dégâts physiques, psychiques et à tant d’autres égards sont immenses. Il faut des années pour se reconstruire, refaire confiance. Et dans le cas de celles qui ne parlent pas, qui ne peuvent pas, qui doivent porter elles-mêmes ce fardeau comme si elles en étaient responsables – car la société leur renvoie que c’est le cas – quelle disproportion ! quelle injustice ! quelle révolte ! Ces femmes portent la honte, la souffrance, l’opprobre, le rejet parfois des familles quand le bourreau, l’agresseur, lui, ne porte aucun stigmate, aucune plaie ouverte.

La honte doit être portée par l’agresseur et non par la victime, la parole indicible devant l’acte ignoble doit être du côté de l’agresseur et non de la victime. Ne pas arriver à dire, c’est porter soi le fardeau de l’acte comme si on en était responsable. Or, une femme violée n’est JAMAIS responsable de son viol, JAMAIS !

C’est un problème de santé publique majeur ; c’est un problème social, familial, qui implique toute la société et tous les hommes. Il est grand temps que dans les collèges, les lycées – où il y a certes des cours d’éducation sexuelle – et ensuite dans les universités, entreprises, il y ait des cours pour expliquer aux jeunes hommes et aux hommes que les femmes ne sont pas des objets, qu’elles sont des sujets, qu’ils n’ont pas le « droit » de les posséder puis qu’elles ne leur appartiennent pas. Que même si c’est leur petite amie, leur femme, un rapport sexuel doit TOUJOURS exiger un consentement mutuel, à chaque fois ! Qu’une femme a le droit de s’habiller comme elle le souhaite, d’aller où elle le souhaite et avoir les activités et le travail qu’elle veut sans qu’ils aient à intervenir ou à porter un regard dessus !

Je pense que l’autre pendant du viol est cette séduction exacerbée que l’on exige constamment des femmes. En cherchant à les réduire à leur simple corps, on les objétise et légitime ainsi cette idée que les hommes peuvent se les approprier.

À force de voir des femmes à moitié nu sur toutes les affiches de métro, bus, dans la rue, de voir des femmes nues aux jambes écartées sur tous les kiosques de France, on excite inconsciemment – et consciemment – le désir des hommes pour les femmes. Or, dans la réalité, ces corps – censés être parfaits – de mannequins, dont les photos sont en fait retouchées sur photoshop prônant ainsi l’extrême maigreur – ne font qu’attiser un désir inassouvissable chez la majorité des hommes, car, jamais, ils n’auront de relations sexuelles avec de telles femmes !

La publicité, en excitant constamment le désir des hommes, participe de cette culture du viol, sachant que bien souvent également elle expose des photos suggérant un viol mais sans que cela ne soit condamné ni par les hommes, ni par les médias, ni par personne d’ailleurs.

C’est pourquoi, le viol est un problème qui concerne toute la société mais qui doit être pris à bras le corps par les hommes, sinon, ils envoient comme message aux femmes que finalement, ils ne font rien pour que leur femme, petite amie, mère, fille ne soit pas un jour violée.

Il est temps que les choses changent ! Mais cela ne pourra se faire que par cette conscience de cette objétisation des femmes que ces dernières ont totalement intégrée. En se pliant aux diktats de beauté, de minceur et de séduction imposés par la société, les femmes participent malheureusement à une objétisation de leur sexe. C’est donc également aux femmes de dire non, d’arrêter de se plier aux désirs des hommes sur leur physique en s’imposant des régimes, des chirurgies esthétiques…

Il y a un travail immense à faire pour que les hommes regardent un jour les femmes avec cette conscience qu’elles sont libres de leurs corps, pensées, actes, qu’elles ont le droit de vivre leur vie en paix avec eux.